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Position du chercheur et ethnographie multi-située

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L’article désormais classique de Georges E. Marcus, “Ethnography in/Of the World System: The Emergence of Multi-sited Ethnography1 propose un riche cadre de référence pour penser mon positionnement et le type d’ethnographie que je tiens à développer.

La réflexion de type méthodologique développée par Marcus dans cet article fait le point sur un champ ethnographique qui ne veut/peut plus dissocier “lifeword and system”2. Il rappelle très justement que la plupart des logiques culturelles reprises par l’anthropologie sont en partie constituées “within sites of the so-called system (i.e. modern interlocking institutions of media, markets, states, industries, universities – the worlds of elites, experts, and middle classes)3. Mais si le lien entre “lifeworlds of subjects and the system” ne tient plus, quel peut être la visée de l’ethnographie qui reste une discipline attachée à développer un point de vue local et proche des sujets étudiés (la fameuse injonction, “suivre les gens”). Pour Georges Marcus, il s’agit de

“discover new paths of connection and association by which traditional ethnographic concerns with agency, symbols, and everyday practices can continue to be expressed on a differently configured spatial canvas”4

Ce type de proposition génère chez les chercheurs un certain nombre d’anxiétés. L’ethnographie peut-elle à la fois développer une connaissance intime des communautés et des groupes issue d’un face-à-face avec les interlocuteurs et s’imposer comme un exercice de cartographie de terrain. C’est que cette dernière activité ne peut se comprendre comme une représentation globale du système à travers l’étude d’une de ses parties. Au contraire, le “global” fait partie intégrante de la partie du monde étudiée, il n’est en aucune manière extérieur à lui. De la même manière, une ethnographie multi-située ne perd pas ce qui constitue l’essentiel du travail de terrain pour une monographie, la traduction d’un idiome culturel vers un autre. Au contraire, construire et cartographier une ethnographie multi-située, c’est développer la

“capacity to make connections through translations and tracings among distinctive discourses from site to site”5

Renoncer à la distinction “lifeworlds/system”, c’est aussi abandonner le focus habituel de l’ethnographie vers des sujets “subaltern” dans le sens de leur positionnement par rapport à un système de domination issu des modèles capitalistes et colonialistes. Au contraire de ce qui se faisait largement au sein de l’anthropologie comparative, les objets de comparaison ne sont pas connus à priori mais sont construit par les liens que les différents “sites” nouent entre eux dans la pratique ethnographique:

“Thus, in multi-sited ethnography, comparison emerges from putting questions to an emergent object of study whose contours, sites, and relationships are not known beforehand, but are themselves a contribution of making an account that has different, complexly connected real-world sites of investigation”6

A travers les différentes “techniques “utilisées par les ethnographes, des plus classiques aux moins usitées, Marcus dégage des “façons de faire” qui  permettent de tracer des objets à travers plusieurs sites étudiés. Par exemple, dans le cas de Rouse7 qui travaille sur la diaspora mexicaine à l’aide de la technique la plus commune en ethnologie qui consiste à “suivre les gens”, il signale comment l’ethnographe

“materializes a new object of study, a sense of a diasporic world independent of the mere movement of subjects from one place to another”8

La technique qui consiste à “suivre les choses” plutôt que les gens a été particulièrement bien revisitée par Arjun Appadurai dans sa collection The Social Life of Things. On signalera également le travail de Feld sur la “world music”9. En ce qui concerne le procédé qui consiste à “suive des métaphores”, c’est le travail de Donna Haraway10 qui illustre le mieux ces nouvelles réflexions méthodologiques11. Marcus propose des voies moins usitées comme suivre une intrigue (Brooks P. 1984, Boyarin J. 1994), des biographies (Fischer MJ, 1991, 1995) ou encore les conflits, comme le réalise l’anthropologie juridique (Gaines J. 1991). Parmi les monographies, on trouve des travaux qui échappent à l’articulation classique entre objet “subalterne” et système de domination capitaliste ou néo-colonial, et qui révèlent une situation “stratégique” et localement circonstanciée (Paul Willis, 1981).

Mais la plus grosse difficulté pour une ethnographie qui se prétend multi-située demeure dans le travail de traduction:

“What among locally probed subjects is iconic with or parallel to the identifiably similar or same phenomenon within the idioms and terms of another related or “worlds apart” site?”12

L’argument de Marcus rejoint ici celui développé par Bruno Latour autour d’une attention flottante, dont nous avons parlé dans l’article précédent:

“Within a single site, the crucial issue concerns the detectable system-awareness in the everyday consciousness and acions of subjects’lives”13

Pour terminer, Marcus développe une réflexion sur le positionnement du chercheur dans un tel cadre d’intervention (ethnographie multi-située) qui rejoint celle de Michel Callon sur “l’attachement” propre au travail du sociologue. Marcus parle “d’activisme”. Pour lui, ce terme n’a rien à voir avec l’activisme des intellectuels de gauche, il n’est pas en relation avec un mouvement social particulier, encore moins en lien avec une avant-garde intellectuelle à un moment historique. Le terme d’activisme ne peut se comprendre ici qu’en lien avec les conditions spécifiques dans lesquelles oeuvre le chercheur lorsqu’il est plongé dans une ethnographie multi-située:

“In conductiong multi-sited research, one finds oneself with all sorts of crosscutting and contradictory personal commitments. These conflicts are resolved, perhaps ambivalently, not by refuge in being a detached anthropological scholar, but in being a sort of ethnograher-activist, renegotiating identities in different sites as one learns more about a slice of the world system. For example, in Martin’s Flexible Bodies, she is an AIDS volunteer at one site, a medical student at another, and a corporate trainee at a third”14

“This condition of shifting personal positions in relation to one’s subjetcs and other active discourses in a field that overlap with one’s own generates a definite sense of doing more just ethnography, and it is this quality that provides a sense of being an activist for and against positioning in even the most self-perceived apolitical fieldworker”15

  1. in Annu. Rev. Anthropol. 1995. 24:95-117
  2. p96
  3. p97
  4. p98
  5. 101
  6. 102
  7. Rouse R. 1991. Mexican migration and the social space of postmodernity. Diaspora1: 8-23
  8. 106
  9. Feld S. 1994. From schizophonia to schismogenesis: on the discourses and commodification practices of “world music” and “world beat”. In Music grooves, by C Keil, S Feld, pp. 257-89. Chicago: Univ. Chicago Press
  10. Harraway, D. 1991. Simians, Cyborgs, and Women: The Reinvention of Nature. New York: Routledge
  11. également, Martin E. 1994. Flexible Bodies: Tracing Immunity in American Culture From the Days of Polio to the Age of aids. Boston: Beacon
  12. 111
  13. 111
  14. 113
  15. 113-114

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